Le continent africain représente à peine 4 % des émissions mondiales de CO₂, mais concentre de très nombreuses ressources. Douze ministres de l’économie et des finances africains ont formulé dans une tribune au journal « Monde » trois mesures pour aider leurs pays à lutter contre le changement climatique et la pauvreté.

Covid-19, conflit en Ukraine, dérèglement climatique, inflation… L’Afrique est secouée par des crises dont elle n’est pas responsable, sans que nous ayons pour autant notre mot à dire dans les décisions qui nous autoriseraient à y faire face. Nous proposons donc aujourd’hui trois mesures qui permettraient de soutenir nos pays dans la lutte contre la pauvreté et le changement climatique, principalement en donnant à la Banque mondiale les moyens de tripler ses financements, pour prêter 1 200 milliards de dollars (1 098 millions d’euros) aux pays à revenu faible et intermédiaire au cours des dix prochaines années.

Les crises nous frappent de plein fouet. Si, en 2022, l’inflation aux Etats-Unis a atteint 9,1 %, l’impact sur nos États a été bien plus important encore, puisque l’inflation globale médiane en Afrique était de 10,3 %. La hausse des prix a même atteint 21,5 % au Nigeria et 33,8 % au Rwanda. Les mesures prises par les économies avancées pour y répondre ont exacerbé les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Les efforts déployés par la Réserve fédérale pour contrer ce phénomène aux Etats-Unis, par exemple, entraînent une augmentation des paiements au titre du service de nos dettes, érodant encore davantage notre capacité de réaction face aux crises.

La loi américaine sur l’inflation et le Green Deal européen prouvent que cette période extraordinaire exige des mesures extraordinaires. Mais le statu quo qui permet aux pays riches de prendre des mesures pour protéger leurs économies et se préparer au changement climatique n’offre pas le même luxe aux États africains. Il est temps d’inclure les nations vulnérables dans ce raisonnement, car les risques et les occasions n’ont jamais été si grands.
Si les investissements nécessaires ne sont pas dégagés à temps, cela pourrait conduire à une « décennie perdue » pour le développement de notre continent – avec toutes les implications humanitaires et de stabilité que cela implique.

Une majoration inexpliquée

Pourtant, les possibilités d’investissement sont énormes. En ce qui concerne le dérèglement climatique, l’Afrique ne fait pas partie du problème, mais bien de la solution. Le continent représente à peine 4 % des émissions mondiales de CO₂, mais détient 60 % du meilleur potentiel solaire, 50 % de la capacité éolienne mondiale, 71,4 % du cobalt, 76 % du platine et 58 % du manganèse de la planète – des minéraux essentiels pour la transition énergétique du monde entier. Nous prenons déjà des mesures pour verdir nos économies. En 2021, 81 % de l’énergie du Kenya provenaient des énergies renouvelables. Mais, là encore, nous sommes freinés par un système international injuste et obsolète.

Les pays africains sont confrontés à une majoration inexpliquée lorsqu’ils cherchent à emprunter de l’argent sur les marchés des capitaux. L’Agence internationale de l’énergie montre que la différence de coûts d’emprunt pour les projets d’énergie verte entre les pays avancés et les nations africaines peut atteindre jusqu’à 13 %. Nous appelons donc le G20 à libérer en notre faveur la même marge de manœuvre budgétaire que celle qui leur est accordée pour répondre aux crises et investir dans l’avenir.

Premièrement, le G20 devrait honorer sa promesse de rediriger 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux, afin de fournir des liquidités et de renforcer les réserves de nos États. Les membres du G20 devraient pour cela combler le déficit de subvention du fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et la croissance du Fonds monétaire international et approuver le recyclage de ces droits de tirage spéciaux par l’intermédiaire des banques multilatérales de développement, en particulier de la Banque africaine de développement, afin de fournir des prêts à faible coût aux pays et aux entreprises d’Afrique.
Deuxièmement, nous devons trouver une solution aux problèmes de viabilité de la dette. Les États créanciers doivent se mettre d’accord sur un cadre crédible, transparent et rapide de résolution de la dette, incluant la dette privée.

Troisièmement, nous avons besoin d’une augmentation significative des financements publics à faible coût. Une augmentation de la dotation de l’Association internationale de développement (IDA) de 93 milliards de dollars à 279 milliards de dollars au cours des prochains cycles de financement d’ici à 2030 aiderait les pays à faible revenu à renforcer leur résilience aux crises. La Banque mondiale existe en partie pour résoudre ce problème, puisqu’elle peut emprunter à des taux bas et transférer ces taux aux pays qui n’y ont pas accès. Mais elle ne parvient pas à le faire à l’échelle requise.

Pas de temps à perdre

Les pays africains à revenu intermédiaire ont besoin de beaucoup plus de prêts à faible coût de la part de la Banque mondiale. Cela pourrait être atteint grâce à des mesures visant à utiliser plus efficacement le bilan de la Banque mondiale.
Les États africains à faible revenu ont, quant à eux, besoin de beaucoup plus de financements concessionnels de la part de l’IDA, ce qui nécessite des capitaux supplémentaires de la part des principaux actionnaires de la Banque. Les donateurs pourraient doubler leurs engagements, ce qui permettrait de tripler les investissements.

Pour les pays à revenu intermédiaire, une augmentation de capital et une utilisation plus efficace du bilan de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement pourraient tripler les prêts annuels, pour passer de 33 milliards à 99 milliards de dollars, accélérant ainsi leur transformation économique et énergétique.

Ensemble, ces mesures permettraient de dégager un total de 1 200 milliards de dollars supplémentaires au cours des sept années restantes avant 2030, date à laquelle, sur la base des tendances actuelles, il sera trop tard pour rester dans les limites de 1,5 °C.
Les arguments en faveur de ces investissements sont solides, et il n’y a plus de temps à perdre. Si nous voulons saisir l’occasion du boom démographique de l’Afrique et répondre aux besoins climatiques urgents, des financements à long terme et à faible coût seront essentiels. Nous ne devrions pas avoir à faire un choix impossible entre répondre aux besoins d’aujourd’hui et investir dans notre avenir.

Source: le monde

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