Un voyage en Afrique, en République démocratique du Congo. Olivier Luminet propose une itinérance à travers des paysages fabuleux qui permettra à chacun de (re)découvrir Boma, une destination magnifique de la RDC. Et qu’ils donneront l’envie d’y venir au moins un jour.
L’histoire commune entre la Belgique et le Congo a duré des décennies. La simple évocation du mot « Congo » déclenche chez tous les Belges un flot d’images, d’impressions, de sentiments, mêlant fascination et mystère. Il est très rare, cependant, que ces images viennent d’expériences vécues directement ou par des proches. Grâce à un projet de recherche qui inclut l’UNIKIN et trois Université belges (UCLouvain, ULB et ULiège), j’ai eu l’occasion de me rendre plusieurs fois en RDC ces dernières années, plus particulièrement dans la province du Kongo central. Ce projet interdisciplinaire vise à renforcer la production et la consommation d’insectes afin de pallier aux insuffisances nutritives en protéines animales. Je me propose de rendre compte dans mes textes d’impressions spontanées en traversant ces paysages fabuleux. J’espère que ces récits et ces photos permettront à chacun de (re)découvrir quelques sites exceptionnels de la RDC. Et qu’ils donneront l’envie d’y venir au moins un jour.
Boma : fascination du fleuve et vestiges du passé
Pour ce premier épisode, j’ai choisi de vous embarquer pour Boma, une ville fascinante le long du fleuve Congo, à une centaine de kilomètres de son embouchure. Après trois jours passés à Moanda, à l’embouchure d’un des plus grands fleuves du monde, nous avons l’occasion de nous arrêter deux jours à Boma qui fut de 1886 à 1929 la capitale du Congo belge. La ville renvoie un mélange subtil de paysages magnifiques et de fragments de mémoires collectives de la période coloniale.
Nous arrivons dans la ville en fin d’après-midi. Notre chauffeur connaît très bien les lieux, il y vient chaque année. Il roule dans une direction précise qui nous fait sortir de l’effervescence du centre pour aboutir dans une rue sans issue. Face à nous, un hôtel d’un autre âge qui offre une vue à couper le souffle sur le fleuve. On s’installe bien vite pour profiter de la grande terrasse couverte en bois. On s’empresse de déguster une Nkoi, la « bière léopard » tellement désaltérante quand elle est servie bien froide. On assiste au ballet des hirondelles accompagnées de leurs cris, suivi du passage majestueux d’un aigle pêcheur qui traverse le fleuve. C’est un vrai enchantement. Le ciel est chargé de nuages blancs et gris, l’air est très chaud, humide, sans un souffle de vent. Le temps semble figé.
A quelques mètres, une pirogue de pêcheurs rompt à peine ce calme, un homme vêtu d’une longue veste blanche manie avec aisance son bâton pour guider l’embarcation. A l’avant, son collègue est prêt à lancer quelques filets à l’eau. Devant eux, s’étale le fleuve Congo, une étendue infinie et majestueuse. A Boma, le fleuve se sépare en plusieurs bras et en plusieurs îles, certaines congolaises, d’autres angolaises. Frontières entre pays, frontière entre eau et terre. On distingue facilement ces îles depuis la terrasse de l’hôtel. Sous un soleil qui décline, le ciel se charge progressivement de couleurs bleues, mauves, et oranges. Le spectacle est grandiose. Il laisse apparaître la silhouette d’immenses bateaux qui remontent le fleuve vers le port de Matadi.
La mémoire se conjugue au présent
Notre délicieux repas est servi avec le sourire par la serveuse du restaurant. Le défilé des plats se succèdent, grosses crevettes, viande de chèvre grillée, liboke de capitaine accompagné d’une sauce au gingembre, le tout accompagné de bananes plantains, fufu et chikwangue. Sous nos yeux, le fleuve s’embrase, les couleurs virent à l’orange vif. Au loin, contraste saisissant entre les pirogues à l’avant-plan et un immense navire au loin. La soirée se termine en compagnie de la lune qui illumine le fleuve et le concert de dizaines de grenouilles particulièrement en voix !
Le lendemain, nous passons une bonne partie de la journée à Manterne, où nous mettons en place un projet de promotion de la consommation d’insectes auprès des restaurants locaux.
De retour à Boma dans l’après-midi, sous un soleil brûlant, nous prenons un moment pour visiter quelques lieux étonnants du passé. Boma garde en effet des traces de l’époque belge offertes à l’état quasi brut. D’abord, l’immense baobab dans lequel Stanley aurait dormi quelques nuits à la fin de son périple de plus de 5 mois depuis Zanzibar. Sur la table, à côté de la caisse, je découvre la version anglaise du fameux livre Les fantômes du roi Léopold, un holocauste oublié d’Adam Hochschild. Est-il là pour impressionner ? Et pourquoi dans sa version originale anglaise ? Mystère ! Mais en tout cas, le poids du passé se fait soudainement ressentir. Et il sera encore plus présent dans notre prochaine étape !
En effet, un guide rencontré sur le site du baobab de Stanley nous propose d’aller visiter la résidence de l’ancien gouverneur général du Congo sur la colline. On entre dans une immense propriété peuplée de baobabs immenses et majestueux. De loin, le bâtiment principal paraît somptueux avec sa structure en fer forgé et ses grands terrasses en bois. De près, l’état de délabrement est avancé et détail étrange, du linge sèche à différents endroits. Autre détail piquant, les armoiries royales sont encore visibles sur les murs de la partie destinée aux visiteurs de marque! Le guide nous explique qu’un accord de partage des frais de rénovation a été signé entre la RDC et la Belgique il y a plusieurs années, mais qu’on attend sa mise en œuvre. En attendant, des fonctionnaires de l’état congolais sont autorisés à l’utiliser mais à leurs risques et périls ! Les escaliers, comme la superbe terrasse, ne semblent plus tenir qu’à un fil. En redescendant, une surprise nous attend, un buste de Léopold II ! Il semble faire partie du décor et ne pas déranger outre mesure les nouveaux habitants. Notre guide se propose de poser à côté, la main sur le sommet de la tête du roi tellement controversé ! Que de symboles, que d’images du passé qui se mêlent au présent en l’espace d’une heure à peine.
On poursuit par la visite d’une esplanade sur laquelle on trouve la première église du Congo, arrivée en pièces détachées depuis Namur. La fin de journée approche, les lumières sont moins intenses. Les murs blancs offrent un beau contraste avec les toits rouges. Du bâtiment s’échappent les voix d’une chorale. On est à la veille de Pâques. Juste à côté, trône l’imposante cathédrale. A cette heure, la brique qui rappelle l’Italie prend des couleurs orangées. Je m’interroge sur la présence de très nombreuses chaises bleues alignées à l’extérieur sous de grandes pergolas rouges. Puis, sans trop réfléchir, j’entre dans la cathédrale. Le lieu est sobre, un autel sous une grande arcade, de nombreux ventilateurs qui descendent des plafonds et quelques vitraux notamment à la gloire de Saint-Louis. Mais pas une seule chaise ! Où va-t-on célébrer la messe de Pâques ? Arrivé à proximité de l’autel, j’entends de grands cris de notre guide. « Sortez tout de suite, le plafond est en train de s’effondrer ! » Effectivement, je découvre des morceaux de plâtras sur le sol. « Tout ça c’est à cause des Chinois » me répète-t-il. Je comprends mieux à présent ces sièges à l’extérieur. La messe de Pâques aura lieu en plein air cette année !
Notre journée bien remplie se termine dans un restaurant du centre-ville, avant de retrouver les charmes de notre hôtel en bord de fleuve. Que de découvertes en l’espace d’à peine deux jours !
Olivier Luminet est Professeur de psychologie à UCLouvain et à l’ULB; Directeur de recherche au FNRS